De toutes les histoires que l’on peut raconter à nos petits bouts de choux, celle qu’ils préfèrent et dont ils ont profondément besoin pour se forger un « moi fort », comme disent les psys, c’est… la leur !
On leur donne du yaourt pour qu’ils aient de bons os, des omégas 3 pour qu’ils soient malins, des protéines pour que leurs petits muscles deviennent grands et fort, sans compter une bonne dose de vitamines pour emballer tout cela !
Mais que leur donnons-nous pour qu’ils se forgent une identité saine et stable ?
L’identité, on le sait, se construit dès l’enfance. Mais de quoi s’agit-il exactement? Comment favoriser l’éclosion d’une identité forte qui permettra au futur adulte de faire face aux difficultés de la vie sans se sentir vaciller à la moindre bourrasque ?
Vaste question, me dira-t-on...
Aussi pour l’heure, et pour ne pas nous y perdre, nous essayons de comprendre comment le petit d’homme se crée une « image de soi », notamment à travers ses échanges avec les autres.
Tempérament et identité
Tous les parents qui ont plusieurs enfants, le savent bien, chaque petit bout vient au monde avec son propre tempérament. Tel bébé est tout calme et dort tout le temps, tel autre passe son temps à scruter les visages qui l’entourent, tel autre manifeste haut et fort un besoin « criant » d’attention. Le tempérament, pour prendre une comparaison un peu cavalière, correspondrait au « hardware » d’un ordinateur : ce sont les fonctions de base avec lesquelles il est fourni… Ensuite, ce qui va constituer le caractère, la personnalité, l’identité de l’enfant et du futur adulte, c’est la manière dont ce tempérament de base va interagir avec l’environnement. Et ça c’est le fruit de nombreux apprentissages très complexes. Pour reprendre notre image, ces apprentissages, ce sont les « sofwares » !
Ainsi, on peut imaginer un bébé très vif, très dynamique et… très remuant. Appelons-le Arthur. Et maintenant, plaçons Arthur dans son berceau auprès d’une famille où un tel tempérament est très valorisé. Dès lors, l’enfant peut grandir en bonne harmonie avec lui-même et avec les autres, sauf que les « autres » en l’occurrence, sont plutôt comme lui... Comment réagira-t-il alors lorsqu’il se trouvera en présence de personnes différentes ? Saura-t-il s’adapter à Tante Marie-Eléonore qui, elle, est la quiétude faite femme, toute en nuances, en subtilités et dont l’activité principale est la contemplation silencieuse de la vie ?
Bon, ça risque de ne pas être commode !
Alors, reprenons Arthur et plaçons-le dans une famille où les valeurs en vigueur sont l’enrichissement de l’esprit par la culture et une relative intolérance à l’agitation. Dans ce cas, notre petit bout devra composer et ajuster son comportement pour s’adapter à sa famille. Le caractère, la personnalité qu’il développera sera un compromis entre un fond qui lui est propre et une série d’apprentissages l’amenant à s’ajuster aux exigences de sa famille. Autant le dire tout de suite : la deuxième situation est sans doute plus complexe mais probablement plus riche en termes d’apprentissage.
Le fait est que nous touchons ici directement à la notion d’identité. Comment continuer être « moi », identique à moi-même, au gré des changements, tout au long d’une vie faite de rencontres avec toutes sortes « d’autruis » ?
Retournons chercher notre petit Arthur et faisons le naître dans une famille où le papa est monté sur ressors et où la maman apprécie le silence feutré de sa bibliothèque. Très vite l’enfant apprendra à ajuster son comportement en fonction de Papa et de Maman.
Mais que devient l’identité de cet enfant alors tiraillé entre deux manières d’être ? Eh bien, non seulement il développe sont identité mais en plus, il apprend à la confronter aux autres. Ainsi, si la maman lui envoie le message : « Je sais que tu voudrais pouvoir ouvrir toutes les armoires et jouer avec tout ce qu’il y a à l’intérieur en faisant beaucoup de bruit. Je trouve ça super parce que ça veut dire que tu es curieux et c’est très bien d’être curieux. Mais pour l’instant, je dois écrire un article (sic !) et j’ai besoin de calme pour me concentrer. Alors je préfère que tu joues à un jeu tranquille ». Dans cet exemple la maman prend en compte la spécificité de l’enfant et la valorise tout en lui apprenant qu’il est également important de tenir compte des autres… Un tel enfant grandira avec un fort sentiment d’identité qui ne sera pas mis en péril par le contact avec autrui : il sera sûr de lui et capable de s’ajuster à son environnement lorsque ce sera nécessaire, tout en restant lui-même.
L’histoire personnelle, un tissu de sens riche et vivant
Selon une psychologue américaine qui a fait une étude dans ce sens, une bonne manière de donner à l’enfant un sens fort et cohérent de son identité est de lui parler… de lui.
Enfin de découvrir cela, cette Kelly Bost de l’Université de l’Illinois s’est intéressée au style de communication entre les parents et les enfants et plus particulièrement, au nombre de références faites à leur passé commun. Elle a donc consciencieusement relevé toutes les fois où les parents racontaient à leurs enfants des histoires « de quand ils étaient petits » ou même pas encore nés. Parallèlement à cela, elle s’est attachée à évaluer le style d’attachement qui existait dans ces familles.
« Styles d’attachement », keseksa ? Il s’agit d’une théorie qui nous vient d’un psychiatre anglais, John Bowlby, très célèbre pour ses travaux sur la manière dont les bébés s’attachent à leurs parents. Pour Bowlby, l’attachement d’un nourrisson à un adulte est un besoin vital aussi important que celui d’être nourri. Or, le psychiatre s’est aperçu qu’il y avait plusieurs « styles » d’attachement. Pour résumer, on en distingue cinq dont le plus constructif pour l’enfant est l’attachement dit « sûr »ou « sécurisant ». (Pour une brève description des styles d’attachement de Bowlby, voir encadré).
Kelly Bost a constaté que dans les familles où les parents évoquent souvent le passé avec l’enfant, l’attachement est du style « sûr ». Les enfants évoluent dans leur environnement en étant confiants. Ils développent un sens de soi ferme et stable et se sentent en sécurité pour découvrir le vaste monde !
Que déduire de cette étude ? Il serait sans doute un peu hâtif de dire que du coup, dans les familles où l’on n’évoque pas le passé, l’attachement de l’enfant est insécurisé. Par contre, on peut raisonnablement émettre l’hypothèse que le fait de partager des souvenirs est l’une des manières d’approfondir et de solidifier le lien. Le partage des souvenirs communs renforce la notion « d’exister » des enfants. Il leur sert de support pour se construire leur propre histoire et de l’inscrire dans la continuité de celle de leurs parents. Autrement dit, ils s’ancrent en eux-mêmes, se construisent des racines, se structurent autour et à travers la narration de leur propre histoire. Grandir sous le regard bienveillant de parents soucieux du parcours de vie de leur enfant est sans doute la meilleure manière de devenir un adulte en pleine possession de soi, épanoui et capable de vivre en harmonie avec lui-même comme avec les autres…
Que demander de plus !
Sources : B. Vaughn et al. Maternal attachment script representations : Longitudinal stability and associations with stylistic features of maternal narratives, in Attachment and human development, vol 8, N°3, p.199, 2006
Wikipédia: Théorie de l’attachement. Tapez: John Bowlby pour tout savoir sur ses travaux.
Que raconter à mon enfant ?
Le soir, avant le dodo et à la place de « Rostropic, le méchant cactus des plaines du Nord » ou « Flop, la petite sirène en panne de voix »… essayez ceci – et vous verrez: ils en redemandent !
Avec les petits, jusqu’à quatre, cinq ans, essayez la question magique : « Tu te souviens quand tu étais dans mon ventre? » Neuf fois sur dix, ils répondent « Oui, oui ! » Dans ce cas, vous pouvez imaginer tout un dialogue qui tourne autour de votre vécu de la grossesse et… les souvenirs « pré-nataux » du petit génie de la mémoire. Et s’il répond: « Ben non, t’es bête ou quoi ? », ce n’est pas grave, racontez-lui quand même votre vécu. Vous avez un enfant terre à terre à qui on ne la fait pas, mais qui a quand même besoin de ce partage…
Toutes les anecdotes dont vous vous souvenez feront l’affaire. La fois où Bébé a fait pipi sur Oncle Benêt qui essayait de le changer, la fois où la petite Marie s’est perdue dans le grand magasin et où tout le monde a eu très peur, la fois où il y avait un crocodile dans le jardin que papa a dû tuer avec le fusil en plastique vert fluo parce que Jeremy ne pouvait pas dormir…
Et puis le must de tous les musts : comment Papa et Maman se sont rencontrés, comment ils se sont aimés si fort que la petite graine a sauté hop ! dans le ventre de Maman… Comment cette petite graine était la championne du monde des petites graines (quand même, être le vainqueur parmi 200 millions, c’est pas rien!) Et enfin… comment Bébé est sorti par la grande porte pour jeter son premier coup d’œil sur le monde, comment Papa l’a serré dans ses bras, comment Maman a pleuré de joie… etc. etc.
Et pour terminer, un petit mot pour les parents dont les histoires sont tristes. Parfois, la grossesse ou la naissance se sont mal passées, parfois la Maman s’est retrouvée sans le Papa ou l’enfant est venu alors qu’on ne l’attendait pas tout à fait. N’ayez pas peur de raconter vos histoires tristes à votre enfant. Ces histoires, même tristes, sont celles de sa vie et sont celles qui le composent. Il vaut mieux une histoire triste pour un enfant que pas d’histoire du tout… Et si ça vous fait pleurer, vous pleurerez ensemble et en même temps vous apprendrez à votre enfant que la vie, c’est pas toujours rose mais que l’on peut quant même sourire entre ses larmes parce que par-dessus tout, le plus beau, c’est partager…
Pour en savoir un peu plus…
Les styles d’attachement de Bowlby
Attachement « sûr » : l’enfant a confiance dans le parent, il sait que ce dernier est disponible et répond de manière adéquate à ses besoins.
Attachement « insécurisé ambivalent » : l’enfant n’est pas certain que son parent sera disponible et lui répondra s’il fait appel à lui. L’enfant est sujet à l’angoisse de séparation, il s’accroche à sa mère, se montre angoissé pour explorer le monde.
Attachement « insécurisé évitant » : l’enfant est certain qu’il vaut mieux ne pas avoir confiance dans les réponses de l’adulte car il s’attend à être repoussé. Il tente alors de vivre sa vie sans le soutien des autres, il est dit « évitant ».
Attachement « désorganisé »: l’enfant n’a pas de repère, l’attachement avec l’adulte est instable, incohérent. Il semble perdu lorsqu’il est en contact avec les autres, il risque de développer une personnalité très difficile à gérer.